Ce que l’on peut gagner en vieillissant

Pendant longtemps, le grand âge n’était perçu que comme un naufrage… Aujourd’hui, il peut désormais être envisagé comme

Pendant longtemps, le grand âge n’était perçu que comme un naufrage… Aujourd’hui, il peut désormais être envisagé comme une aventure plutôt positive.

Désormais, il faut cesser de les mettre de côté et compter avec eux. Eux? Les post-80, voire les nonagénaires. Non, pas les retraités hyperactifs de 60-65 ans que l’on montre dans les publicités pour mutuelles ou séjours touristiques, mais les «seniors XXL» qui, entre eux, n’hésitent pas à se dire «vieux». Oui, des vieux vraiment vieux et non pas des caricatures de jeunes qui, jusque-là, ont dominé dans l’imagerie médiatique.

Eux, d’ailleurs, c’est nous, puisque nous savons que l’avancée en âge concerne désormais tous les Français. La moyenne de longévité, qui ne cesse de grandir, est à ce jour de 85,5 ans pour les femmes et 73,3 ans pour les hommes ; et l’on prévoit un doublement du nombre de personnes âgées de plus de 85 ans sur la période 2005-2020 (source Insee 2014).

Il est donc logique que ces voix, pendant longtemps muselées par une société jeuniste qui leur préfère les corps bodybuildés et performants, se montrent ou se fassent désormais entendre. Ainsi, sur les réseaux sociaux, on ne cesse de célébrer les nonagénaires heureux. Le journal Mail online a ainsi publié une photo de la reine d’Angleterre, prise le 6 mars dernier, le long de la Tamise près du château de Windsor. On y voit The Queen (91 ans) montant encore Caltonlima Emma, son poney Fell préféré. Et le compositeur Michel Legrand sort en disque, à l’âge de 85 ans, sa toute première œuvre de musique classique.

Peu à peu se dessine l’idée qu’on peut encore innover et se réjouir de la vie alors que pendant longtemps le grand âge n’était perçu que comme un naufrage. Deux livres récents, bien loin de réitérer une vision tragique de cette étape de la vie, s’attachent eux aussi à en montrer de meilleurs aspects, ce qui est assez révolutionnaire.

«Je savoure chaque bouchée, chaque gorgée qu’il m’est encore donné d’avaler, lentement, en prenant tout mon temps, sachant qu’il m’est compté»
Claude Sarraute, dans son récit «Encore un instant»

Véronique de Bure a ainsi pris le parti dans son roman Un clafoutis aux tomates cerises (Éd. Flammarion) de se mettre dans la peau de Jeanne, 90 ans, habitante d’un bourg de l’Allier. Autant dire bien loin des héroïnes habituelles de la scène parisienne. «Je voulais donner à connaître toutes ces veuves tout à fait réelles qui, à plus de 85 ans, continuent de conduire, explique la romancière, ont une vie “sympa” faite de rencontres-thé avec leurs amies, renoncent à se teindre les cheveux et, finalement, donnent une image très douce de cette période où pourtant, c’est indéniable, beaucoup de choses se rétrécissent pour elles .» Son modèle: sa propre mère et les amies de celles-ci qui lui donnent à regarder cette vie «comme un petit spectacle».

Autre modèle positif, la journaliste Claude Sarraute, qui dans son récit Encore un instan t (Flammarion) confie un des aspects réjouissants de sa condition: «Maintenant à bientôt 90 balais, écrit-elle, moi qui m’interdisais de boire et de manger pour ne pas grossir, je savoure chaque bouchée, chaque gorgée qu’il m’est encore donné d’avaler, lentement, en prenant tout mon temps, sachant qu’il m’est compté .»

«Puiser dans ce réservoir de vie contemplative que peut être la vieillesse permet de se détacher de certaines postures sociales imposées»
Olivier de Ladoucette, psychogériatre

Bien sûr, il faut pour rentrer dans cette nouvelle liberté être préservé de graves problèmes de santé, mais il semble bien que, dans ces cas, un certain hédonisme serein l’emporte enfin, surtout si l’on s’est contraint une grande partie de sa vie. «L’un des avantages de la vieillesse, poursuit l’ancienne chroniqueuse de Laurent Ruquier, c’est la liberté de dire enfin haut et fort en public tout ce qui me passe par la tête sans craindre de choquer ou encore d’ignorer le politiquement correct qui a dominé pendant tant d’années et ma vie professionnelle et ma vie privée.» De l’air, donc! Moins de faux-semblants, de simagrées sociales, d’inhibitions semble donc réjouir les très vieux.

Autre avantage du grand âge: la liberté de contempler. Jeanne, l’héroïne de Véronique de Bure, se réjouit de l’arrivée des bourgeons dans son jardin, de la taille des rosiers, de déplier son transat… De petits plaisirs enfin saisis sur le temps qui passe pour une majorité de ces vieux: «Puiser dans ce réservoir de vie contemplative que peut être la vieillesse permet de se détacher de certaines postures sociales imposées, pour mieux développer des aspects de sa personnalité sacrifiés dans la course au succès», estime le psychogériatre Olivier de Ladoucette.

Peut-être qu’à force de signifier aux jeunes hyperactifs que «la liberté, c’est maintenant», les très vieux qui s’expriment désormais facilitent le vieillissement des prochaines générations. Véronique de Bure le confirme: «À force de voir vivre ces vieilles avec leur manière apaisée d’accepter leur condition et la finitude, je m’en suis trouvée rassurée moi-même.»


«Une nouvelle phase de vie est à créer»

Marie-Françoise Fuchs, médecin et fondatrice de l’association Old’Up, vient de diriger l’ouvrage collectif Comment l’esprit vient aux vieux, penser et vivre un vieillissement durable (Éd. Érès).

Marie-Françoise Fuchs: «À partir d’un certain âge, le temps passé à s’occuper de soi doit s’allonger. J’appelle cela “l’auto-maternage”, un impératif pour garder la santé autant qu’il est possible»

LE FIGARO. – Pourquoi, après vous être consacrée à l’École des grands-parents, avez-vous senti le besoin de créer une nouvelle association, Old’Up, pour  les «très vieux»?

Marie-Françoise FUCHS. – J’assistais en 2004 à une évolution nouvelle chez beaucoup de nos adhérents. Après avoir vécu l’émerveillement d’être grands-parents, après s’être souvent beaucoup investis dans le temps passé avec leurs petits-enfants, la famille peu à peu n’était plus le creuset sur lequel ils pouvaient continuer à s’appuyer. Vient un moment, en effet, où les petits-enfants grandis rentrent dans le «monde des copains», où les enfants eux-mêmes deviennent les pivots chez qui tout le monde se retrouve, etc. Or ces septuagénaires étaient désormais programmés pour vivre vingt, voire trente ans encore. Il m’apparaissait évident qu’il leur faut alors créer une nouvelle phase de vie relationnelle, et pas seulement ludique comme la société le propose souvent dans les clubs du troisième âge. Grâce à l’association Old’Up, nous pouvions penser ensemble ce que l’on était en train de vivre: parler avec intimité de cette expérience unique qu’est désormais le «vieillissement durable».

De quoi est-elle faite, cette nouvelle «aventure de vieillir»?

Après 75 ans, des changements subtils se manifestent dans la gestion de l’intime. On a perdu (souvent) de nombreux proches, la santé – même si elle est plutôt bonne – est devenue difficile, on a davantage envie de rester chez soi. Beaucoup parlent, après avoir travaillé ou voyagé, de l’importance et du plaisir renouvelé d’être «dans son nid». Il y a aussi ce moment où l’on a envie de retrouver des amis d’enfance, ou de la même région, car on a besoin de familiarité et de sentir un enracinement plus profond que celui que la société peut éventuellement nous proposer… En fait, ce temps qui s’ouvre devant soi comporte presque une nouvelle étape tous les cinq ou dix ans.

Pour ces nouveaux «apprentis centenaires», qu’est-ce qui  vous semble le plus important désormais?

L’accès à la connaissance, essentiel, fondamental. Internet bien sûr, mais pas seulement pour s’informer de ce qui se passe dans le monde. Beaucoup aussi pour continuer à prendre soin de soi, à s’informer des traitements auditifs, visuels… C’est qu’à partir d’un certain âge, outre le temps relationnel dont j’ai parlé, le temps passé à s’occuper de soi doit s’allonger. J’appelle cela «l’auto-maternage» mais c’est un impératif pour garder la santé autant qu’il est possible. Et donc s’emparer des connaissances qui le permettent est décisif.

«Au grand âge, et si l’on peut encore aller et venir, l’isolement devant la télévision est une catastrophe ! En revanche, la parole, le fait d’être écouté et entendu, de dialoguer, est à valoriser»

Mais le temps, justement,  vous en avez plus?

C’est le grand paradoxe: nous avons du temps, oui, mais celui-ci est limité car nous savons que nous allons mourir! Et en même temps, le temps s’accroît dans nos journées. C’est ainsi que nous vivons à la fois des pertes et des gains de perspectives en beaucoup de domaines. Nous sommes libérés de responsabilités, de contraintes qui nous ont occupés une bonne partie de notre existence, nous sommes désormais libres… Tout en vivant des pertes. Nous vivons un rétrécissement de par la disparition de nos compagnons de vie et, en même temps, notre monde intérieur est peuplé de toutes nos expériences, nos souvenirs…

Qu’est-ce qui permet un vieillissement durable agréable?

Les rencontres, comme toujours dans la vie. Si l’on regarde en arrière, on comprend que la plupart de nos choix de vie importants sont nés de rencontres. Au grand âge, et si l’on peut encore aller et venir, l’isolement devant la télévision est vraiment une catastrophe! En revanche, la parole, le fait d’être écouté et entendu, de dialoguer, est à valoriser. C’est pour cela qu’une gardienne d’immeuble, une voisine qui vous emmène marcher ou une dame qui vient faire le ménage et vous raconte les ragots du quartier prennent tant d’importance dans la vie des vieux par exemple. Seuls les échanges significatifs nous portent.

Source : http://sante.lefigaro.fr/article/ce-que-l-on-peut-gagner-en-vieillissant