Objets connectés en établissement: expérimentez en restant cadrés

Pour Samir Henni, praticien hospitalier et médecin coordonnateur, l’arrivée des objets connectés en établissement représente une chance pour

Pour Samir Henni, praticien hospitalier et médecin coordonnateur, l’arrivée des objets connectés en établissement représente une chance pour les résidents et un meilleur confort de travail pour les professionnels, sous réserve de se poser les bonnes questions et de respecter la législation.

De l’actimétrie développée par Legrand à la vidéosurveillance, l’arrivée des nouvelles technologies en Ehpad ne récolte pas que des salves d’applaudissements. De nombreux gestionnaires et professionnels s’interrogent sur le consentement des résidents et sur la place laissée aux soignants.

De quoi y consacrer deux interventions à Nantes fin mars lors de la sixième Journée de management et de coordination organisée par l’Association gérontologique de recherche et d’enseignement en Ehpad (Agree).

L’une avait trait aux robots et au questionnement éthique qui en découle, et l’autre, aux objets connectés.

Samir Henni, praticien hospitalier (au CHU d’Angers) et médecin coordonnateur, a fait le même constat que son confrère Gaël Durel. « Que vont apporter les objets connectés? On est au niveau zéro, donc on a le choix de ne rien faire et de les laisser entrer sans cadre ou alors de s’en emparer », a-t-il souligné.

Ce praticien les connaît bien puisqu’il développe des appareils de mesure de tension artérielle avec l’école d’ingénieurs angevine Istia (dans le cadre du protocole Dyvaa) et utilise des capteurs développés par Apple et Décathlon.

Les définissant comme « interactifs, transformateurs d’objets physiques traditionnels en objets intelligents » et « producteurs de données », il a mis l’accent sur « la finalité » de ces objets connectés. « Comment vont-ils aider la personne âgée, lever l’isolement ? »

Une « commission d’admission » avec trois questions

Pour lui, ces objets devraient, pour entrer en Ehpad, passer par « une commission d’admission » la plus large possible, intégrant jusqu’aux cuisiniers et services techniques car « tous ces acteurs doivent penser ensemble leur arrivée. »

Il entrevoit trois questions à se poser avant de valider une admission:

•Quels bénéfices pour les résidents ?

Le praticien distingue deux situations :

Soit l’objet doit faire ce que l’Ehpad ne sait pas faire, comme la détection de situations à risque avec la télésurveillance et la détection d’errances: « Au-delà de l’alerte, l’intérêt est de se demander comment traiter la quantité d’informations pour que les équipes puissent mieux accompagner les résidents », commente Samir Henni.

Soit l’objet doit permettre une action que la structure fait déjà, mais « mieux », c’est-à-dire, « de façon régulière et non invasive ». Exemple avec le projet Dyvaa, qui suit les effets secondaires de thérapeutiques contre le cancer. Une « box » relie plusieurs objets connectés dont toutes les informations sont envoyées sur un site internet sécurisé.

Rassurant sur le papier mais, dans les faits, Samir Henni suit… 65 patients en Ehpad et à domicile, et reçoit chaque matin autant d’e-mails indiquant leur tension artérielle, ce qui pose la question du temps de traitement. « Clairement, on n’avait pas anticipé [une telle masse de données] » car le système n’a pas été paramétré pour ne signaler que les anomalies.

Autre conséquence, ce système rend le médecin « responsable 24 heures sur 24 du suivi de ses patients connectés », souligne Samir Henni, précisant qu’en cas d’alerte, il « appelle le médecin traitant » du résident afin de limiter sa responsabilité.

•L’objet est-il éthiquement acceptable ?

Pour répondre à cela, il est nécessaire selon le praticien de « cadrer les expérimentations », notamment via la loi Jardé 2017 (voir encadré), qui définit « des strates pour recueillir le consentement des résidents » et « décrit des interprétations d’opposition, avec la personne de confiance et le tuteur ». Le texte « établit clairement qu’en cas de refus, le résident ne participe pas ».

•Existe-t-il des preuves scientifiques sur l’utilité d’objets connectés en Ehpad ?

Là, c’est moins gagné. Sur les plus de 41.000 revues scientifiques indexées sur le site internet Medline, Samir Henni n’a trouvé que 6 références impliquant des résidents en établissement, et la plupart de ces études ont été réalisées à l’étranger, « preuve [que la France] laisse ce terrain à d’autres acteurs », a-t-il commenté.

En conclusion, il estime que les objets connectés sont « bénéfiques, sous réserve de la protection juridique des résidents et de la nécessaire évaluation en Ehpad. Ils doivent avoir un réel intérêt, le principal étant de créer de la prédiction ». Et de rappeler: « On est sur de l’expérimentation liée à la santé, qui doit répondre à un cadre réglementaire strict ».

Repères réglementaires

La loi Jardé porte sur les recherches impliquant la personne humaine. Elle est la transposition d’une directive européenne et facilite les expérimentations avec les objets connectés. Son décret d’application a été publié en novembre 2016. Elle définit trois types de situations: la recherche-intervention, la recherche-intervention à risques et contraintes minimes et la recherche non interventionnelle.
Samir Henni explique: « A chaque fois qu’il existe une situation d’expérimentation d’un objet connecté », une réponse réglementaire est apportée par cette loi. Concernant ces expérimentations, il observe qu’on doit « par défaut », au minimum, considérer les recherches en Ehpad « en niveau 2 » (recherche-intervention à risques et contraintes minimes), « ce qui protège le plus le résident ».

•Il cite aussi le rapport de Pierre Simon et Dominique Acker, qui a permis de clarifier les différences entre télésurveillance, téléconsultation et téléexpertise.

•Enfin, un récent rapport (janvier 2017) adressé à la Commission européenne produit des recommandations concernant les règles de droit civil sur la robotique.

Claire Beziau
Journaliste
claire.beziau@gerontonews.com

Source : http://www.gerontonews.com/story.php?story=CZ9OP0BPO